En ces années-là, la moto est plus qu’une mode.
C’est une passion qui fait se déplacer chaque week-end, aux abords des circuits, aussi bien le petit ouvrier que la personnalité en vue. Chaque course draine plusieurs milliers de spectateurs qui s’amassent sur les routes, le long des circuits à peine aménagés, qui traversent les villages de tout le pays. Et chaque village ou presque possède son Grand Prix.

Moyen de locomotion favori des Belges, on compte désormais plus de 52.000 motos recensées, la moto est aussi le sport populaire du moment – à l’inverse de la voiture, réservée à l’élite et qui, malgré la multiplication des rallyes et des courses sur circuit fermé, n’attire pas autant de monde.

Cette année-là, les marques liégeoises sont particulièrement actives.

Saroléa fournit les meilleures machines et aligne partout le meilleur pilote de l’époque : Grégoire, un coureur hors pair, originaire de Aywaille, qui emporte son fan-club sur toutes les courses.

F.N., la Fabrique Nationale, a laissé carte blanche à Van Hout, son ingénieur compétition. Celui-ci modifie profondément les motos de Marchant.

Outre les améliorations aux changements de 1931, les machines sont dorénavant habillées d’élégants réservoirs noirs, de grande capacité, se terminant à la selle, en forme de crosse de pistolet.

Ainsi conçue, la F.N. 500cc développe de 40 à 44 chevaux à 6.200 tours minutes avec un taux de compression de 8.5. Elle est, de surcroît, bien plus légère que le modèle précédent : 126 kilos à vide. Sa vitesse de pointe dépassait les 180 Km/h et sa boîte de vitesse, à quatre rapports, permettait, par un ingénieux dispositif de crabotage, de commander une double transmission primaire, ce qui procurait ainsi 8 vitesses !

L’équipe des pilotes s’étoffe également. Aux côtés de Milhoux, Tacheny et Colette, la F.N. recrute également Demeuter, le pilote bruxellois, un as des as.

Toutefois, les machines F.N. – et les pilotes ! - ont beau avoir battu tous les records et être parmi les plus rapides du moment, la mise au point des modèles « Van Hout » prend du temps et ils sont encore trop souvent contraints à l’abandon.

Tacheny, aussi, a son fan-club et beaucoup de jeunes filles rêvent d’entretenir son cuir et de lustrer son casque. Jules reste pourtant fidèle à son premier amour. Le 18 mars 1932, il épouse Germaine Majot, fille du boulanger de Pontaury. La jeune femme aspire à une vie tranquille, à l’ombre du village et du garage dans le quartier de la gare, qui prospère. A Mettet, c’est à nouveau la fête. Le cortège des motos et des amis salue le nouveau couple.

Mais pour autant, ce n’est pas le mariage qui freine les ambitions de Jules.
Il ne songe qu’à assouvir sa passion. Etre pilote, en plus de lui apporter beaucoup de joies, est une façon, pour lui, de s’élever.
De rejoindre ceux qu’il a tant admirés, adolescent. La moto, pour Jules, est non seulement une machine à émotions mais aussi un ascenseur social. Et il court. Partout. Italie. France. Luxembourg. Hollande. En Belgique, c’est Falmignoul, Floreffe, Chimay, Mettet, Wavre, Francorchamps… Et il continue de prendre des risques.

Avec le recul, il n’est pas exagéré de penser que les pilotes de ces années-là doivent cultiver un solide grain de folie pour ne pas « lever le pied » devant l’étendue des risques et des difficultés.

D’un côté, les usines qui poussent les ingénieurs et les metteurs au point à aller toujours plus vite, des progrès qui donnent toujours plus de puissance aux moteurs, sans pour autant consolider les cadres, les pneus, la suspension ou même les freins.

De l’autre, l’insolente insécurité et l’absence d’infrastructure qui caractérisent les circuits. Terre, gravier, pavés, bordures. Pas de bitume dans les stands, pas de zones de dégagements, des barbelés, des arbres et des poteaux en bord de route. Autant dire que courir c’est risquer sa vie à chaque tour.
Et les pionniers acceptent les règles du jeu. Ils s’affrontent sur tous les terrains et dans toutes les catégories. De plus en plus vite. Et les spectateurs ont bien compris les enjeux, et se pressent sur les circuits.

Les accidents se multiplient. Quelques fois aussi ridicules qu’inouïs.
Ainsi, par exemple, le 12 juillet 1932, quelques minutes avant le début de la séance des essais officiels du Grand Prix de Francorchamps, l’impensable se produit.

Un pilote italien, Quaglieni, sur une Guzzi 250cc, remonte le circuit à rebrousse-poil pour rejoindre la ligne de départ. Au même moment, un autre, l’allemand Jecker sur NSU 500cc, termine son tour, nez dans le guidon. Ils ne se voient pas ! Le choc est effroyable. Deux morts, tués sur le coup !

En 1932, et aussi pour les années qui vont suivre, aucun encadrement, aucune prise de conscience sur la sécurité des pilotes ne sont véritablement développées.

Et pourtant, le succès de la moto est son apogée !