LE MOTOCYCLISME BELGE EN DEUIL
Lundi matin, se répandait en Belgique une tragique nouvelle: Noir tué au Grand Prix d'Allemagne, Demeuter grièvement blessé !
Quelques heures plus tard, on apprenait que Demeuter à son tour avait succombé à ses blessures! Jamais, le sport belge n'a connu une telle catastrophe.
Ce n'est pas seulement le monde motocycliste qui a été douloureusement frappé. Le grand public lui-même a senti que notre pays a perdu deux hommes de première valeur qui ont bien servi son prestige à l'étranger.
Les corps des deux Champions sont rentrés mercredi en Belgique. Autour de leurs cercueils ont afflué les hommages les plus émouvants. Leur mémoire, associée à celle du pauvre Grégoire, mort il y a un an restera à jamais gravée dans nos curs.
LA CATASTROPHE
C'est une aventure de dix années, et la plus belle de toutes qui a pris fin en quelques heures. C'est toute l'histoire des motocyclistes belges se rebiffant contre la supériorité étrangère, et se donnant tout entiers, se sacrifiant à la tâche, des années durant, pour la victoire finale.
Cette victoire nationale, Demeuter et Noir l'avaient emportée à Assen où chacun d'eux eût pu fournir le vainqueur. Dans le Grand Prix d'Europe, véritable Championnat du Monde, deux beaux pilotes belges avaient mené les motos nationales au triomphe devant toutes les forces étrangères.
L'ascension de dix ans était terminée. Le faîte était atteint.
Seule manquait pour couronner l'aventure, l'apothéose: la présentation triomphale des champions, devant tous les Belges réunis sur leur circuit de Francorchamps.
La fête s'annonçait belle
La fête n'aura pas lieu
Les triomphateurs d'hier ont quitté aujourd'hui le monde des vivants. Leur ascension ne devait pas finir
C'est une catastrophe pour la Belgique que leur disparition brutale. Dans cette grande uvre de victoire, chaque collaborateur était indispensable. Noir et Demeuter disparus, tout l'édifice s'écroule.
Les conséquences du grand malheur sont inestimables. Une à une, nous les découvrirons, nous faisant souvenir à chaque fois des grands disparus.
Mais aujourd'hui c'est une perte plus vive encore que celle de nos espoirs, du fruit de nos efforts, de cette supériorité si chèrement acquise que nous ressentons. C'est au cur même de notre affection que nous sommes frappés par le Destin tragique de Noir et de Demeuter. Nous les aimions, et eux seuls nous manquent! Surmontant notre orgueil de Belges, nous accepterions volontiers la perte de toute la gloire de notre motocyclisme, pour revoir les bons sourires de Pol et d'Erick
Ces sourires, nous les avons perdus
Nous avons perdu le plus précieux
mais en disparaissant, les héros nous ont légué leur gloire!!! A nous de nous souvenir toujours qu'en l'année 1934, Pol Demeuter et Noir, glorieusement tombés au champ d'honneur du sport le 1er juillet, avaient, le 23 juin, porté notre pays au faîte de la renommée sportive.
Pourtant la fête devait être belle.
Dès le lever de drapeau, Demeuter sétait mêlé au groupe de tête pour déjà prendre le commandement à la fin de la première boucle.
Noir avait fait un mauvais départ. Il était parmi les derniers, mais entamait une folle remontée. Après un dépassement, le voilà qui jette un long coup dil vers larrière, avant de se rabattre à la corde. Mais lentrée du virage suivant est déjà là et Noir est beaucoup trop rapide. Il ne peut redresser à temps. Cest la sortie de route. Il senfonce dans une clôture et heurte violemment un arbre.
Les haut-parleurs annoncent une chute bénigne. Noir, semble-t-il, rentre à pied.
Mais le temps passe et Noir ne rentre toujours pas. Van Hout, inquiet, dépêche un mécanicien à sa rencontre.
Entre temps, le secrétariat de course annonce lhorrible nouvelle. Il y a eu une stupide confusion avec un autre pilote
Atterré, Van Hout court vers les stands pour stopper Demeuter, comme il convient en pareil cas. Mais la fatilité va de nouveau sen mêler. De loin, il voit Demeuter au stand, en train de ravitailler. Il fait signe, mais on ne le comprend pas. Demeuter est reparti. Tant pis, on le panneautera au tour suivant.
Hélas, il ny aura pas de tour suivant.
En ce premier jour de juillet, il fait très chaud et la piste fond par endroit. Au dernier virage avant les stands, Demeuter dérape sur une plaque de goudron fondu. Il est projeté au sol.
Relevé avec les deux jambes brisées, il est transporté vers un hôpital voisin. A première vue, son état ne paraît absolument pas critique. Ce nest pourtant pas lavis du chirurgien allemand qui, en aparté, expose ses grosses craintes à Van Hout. En fait, les jambes de Demeuter sont littéralement broyées. Une amputation totale doit être envisagée.
Lopération naura pas lieu. Durant la nuit, létat de santé de Demeuter se complique et saggrave. Il décède au petit matin. « Demeuter et Noir sont entrés dans léternité sous une même auréole de gloire ».
Voici une interview parue dans le journal « La Meuse » d'un mécanicien de l'équipe F.N. qui a vécu les heures tragiques de dimanche dernier :
Le mécano, encore bouleversé, parle :
« Nous étions à 3 km. ½ du lieu où Noir tomba. Le haut parleur annonce que le numéro 10 (c'était Kahlen) a fait une chute grave.
Presque aussitôt, il revient à la charge et nous entendons : le numéro 20 (c'était Noir) a également culbuté !
Nous supposons, comme souvent il arrive en pareil cas, que Noir va revenir pédestrement au stand.
Pendant ces moments d'anxiété, Demeuter tourne vite. Il a pris de l'avance. Quand il s'arrête pour ravitailler, il demande qui le chasse. Je lui réponds : « une D.K.W. d'abord, une Husqvarna ensuite ». « Ce n'est pas grave » nous dit Demeuter, remontant en vitesse en moto, après un ravitaillement rapide.
Nous lui crions encore : « Ne te presse pas ! Tu les as ! »
Que pensiez-vous de Noir, à ce moment ?
M. Van Hout, voyant qu'il tardait à revenir, envoya un homme pour en connaître le motif.
Le courrier revient en annonçant la mort de Noir. M. Van Hout ne put croire à la nouvelle et se précipita à son tour vers les lieux de l'accident. Peu après, je le revois revenir précipitamment vers moi. Il a décidé d'arrêter Demeuter. Celui-ci vient de passer, menant la course avec 1 min. 27 s. d'avance.
Du Stand, nous tirons la planchette qui va arrêter Demeuter.
Tout à coup, alors que nous attendions Demeuter, nous voyons des gens courir vers le virage avant l'arrivée. Que se passe-t-il ? Demeuter tarde !
C'est lui, qui, à son tour, vient de tomber sur dérapage. Du coup, nos jambes flageolent. C'était bien Demeuter qui gisait sur la route, les deux jambes fracturées.
Avec d'infinies précautions, des soins inappréciables, des Hitlériens transportent le précieux fardeau vers une clinique. Dites bien, ajoute Vandewalle, que les Allemands se sont montrés magnifiques dans les pénibles circonstances que nous traversions. Nulle part ailleurs, on n'aurait pu faire mieux.
Et Demeuter, faisons-nous, que pouvait-il encore dire ?
Ses premières paroles furent pour nous dire : « Comment suis-je tombé ? Je n'y comprends rien. Où est Noir ? » On lui cacha la vérité.
Il continua : « J'ai les cuisses cassées, mais Noir a peut-être encore plus que moi. Il n'est pas mort, hein ! » Poursuivit-il. « C'est terrible, cette fois ! » conclut-il.
« Pol souffrait », continue Vandewalle, « mais il conservait toute sa lucidité d'esprit. Il sourit même longuement aux jeunes hitlériens qui l'avaient acheminé vers la clinique et qui, avant de la quitter, le saluèrent à la romaine ».
« Par après, il ne nous laissa jamais l'impression qu'il allait payer de sa vie la chute dont il venait d'être victime. Lui-même ne se sentait nullement mal.
La nuit, malheureusement, des complications surgirent et à l'aube, notre cher Demeuter rendait le dernier soupir. »
Voilà, brièvement contées, quelques épisodes de cette tragédie qui émeut le monde sportif belge.
PORTRAIT DE NOIR (Erick HAPS)
"Noir a fait une chute mortelle à Chemnitz". A force de se répéter l'horrible nouvelle, il faut finir par y croire. D'ailleurs ces larmes qui coulent des yeux, ces mains tremblantes d'émotion en sont la preuve. Le héros est tombé. Noir est mort !
Les souvenirs se pressent cependant, emplissent les yeux de leurs gaies images vivantes
C'est à Francorchamps, une foule émue, où passe le frisson de la gloire, agite des mouchoirs.
Noir est devant Woods: les curs belges lui sont acquis à tout jamais. Ce vireur éblouissant et sûr, faisant splendidement corps avec la F.N. sombre, et précédant de plus de deux minutes les meilleurs coureurs d'Europe mieux, du monde c'est lui encore à Assen ! Dans le soleil d'Assen
il y a huit jours.
Ce grand jeune homme, si élégant dans sa tenue sportive et ses clairs lainages, c'est lui toujours après un entraînement. Un sourire illumine cette figure charmante et racée, où l'on voit, comme une grande fossette, une glorieuse cicatrice. On ne pourrait se lasser du charme de ses manières, de sa politesse aisée d'homme du meilleur monde. Son accueil de sportif, loyal et simple émouvait.
La gloire la plus pure ne l'avait pas gâté. « Moto Cycling » l'appelait « a geant of the road », un géant de la route. Noir souriait, heureux de ce témoignage anglais si dur à obtenir; pourtant sa simplicité n'était pas changée. Dans cette équipe F.N., si belle que jamais on n'en verra une aussi parfaite, les héros s'aimaient comme des frères. Aujourd'hui, seul, Milhoux et Tacheny restent. La mort jalouse est passée, elle a frappé lourdement, deux fois.
Noir était mort du coup. Une demi seconde avait suffi à anéantir ce chef-d'uvre, cet art éblouissant de conduire acquis par une patience de cinq années, alliée au plus rapide génie!
A côté de cette noble passion de la gloire qui faisait le fond de son caractère, on pouvait, si on connaissait mieux Erick Noir, admirer un sentiment touchant. Noir, le coureur mondial, aime sa mère comme un enfant
Nous l'avons vu, la veille de ce départ fatal pour l'Allemagne, ne songer qu'à presser l'allure de l'auto qui le ramenait de Hollande pour donner à cette mère quelques minutes plus tôt (gratter des secondes, gagner des minutes, vraie idée de coureur), les splendides gerbes aux rubans rouge et blanc qui symbolisaient sa victoire.
Nous savons que ces grands coureurs internationaux, tel fut Noir, vont chercher à l'étranger, plus qu'un succès personnel, une gloire pour leur patrie. C'est leur intime pensée sitôt la frontière franchie. C'est donc tel un bon soldat de Belgique, que Noir s'est aligné, dimanche passé, sur ce circuit allemand, avec le ferme désir de vaincre. Hélas, le Destin semblait las d'une vie jusqu'ici mystérieusement protégée. Il a fait un geste. Noir est tombé au champ d'honneur.
SA CARRIERE
Erick Haps, dit Noir, était âgé de 25 ans. Originaire de Bruxelles, il habitait rue Blanche. C'est un immense amour de la moto qui le tenait dès ses 18 ans. Cette ardeur se doublait des plus beaux dons; aussi fut-il un as dès ses débuts.
Il n'est junior qu'un an; senior, qu'un an aussi. Mais entre-temps il a tenu la tête dans chaque course ou presque, il a été le premier Champion de Belgique senior, il est surtout devenu le favori de la foule qui voit en lui le plus beau pilote et le plus merveilleux vireur.
C'est cette sympathie universelle et dont il n'y a guère eu d'autre exemple qui accompagne Noir dans la catégorie experts. Mais deux ans, ses efforts sont limités parce qu'il lutte en amateur contre des professionnels.
On peut dire sans se tromper que durant les cinq ans de sa carrière, il fut à chaque course celui qui se donnait le plus, celui qui fournissait l'effort le plus extrême. L'enthousiasme de la foule subjuguée et l'admiration de tous les experts l'en récompensèrent mieux que les places de second qu'il accumulait, sans connaître la victoire, au déni de toute justice.
De telles qualités devaient aboutir au succès. Noir avait fait une carrière fulgurante. En trois ans, il s'était fait l'égal de Demeuter et Grégoire. On lui devait de le traiter en égal, et c'est ce que fit la Fabrique Nationale en lui confiant une rapide machine de Grand Prix 33. Noir s'aligne presque sans connaître sa monture. Néanmoins il tient tête à tous et même prend la tête au milieu d'ovations indescriptibles. Un malheureux incident abîmera son triomphe, mais l'accueil du public lui montre que dans les curs, celui-ci reste entier. Noir restera le premier pilote à avoir affirmé la classe du motocyclisme nationale.
1934 verra une grande transformation dans sa carrière. Noir compris que pour pratiquer comme il y aspire le sport auquel il a tout donné, il lui faut se professionnaliser. Volontairement, il supprime ce qu'il reste en lui d'amateurisme. Délibérément il veut partager en tous points le sort de ces coureurs qu'il aime tant.
Déboires et désillusions l'attendent encore. Il restera second quoi qu'il fasse. Qu'il se multiplie pour compenser l'infériorité de vitesse de sa machine ou que, acceptant comme un devoir l'obligation de poursuivre de longues courses sans espoir de victoire, il sacrifie sa personnalité au métier qu'il a accepté, le résultat est le même.
Une fois, il manque de près d'être payé de toutes ses amertumes de trois ans: il va pour sa première victoire gagner le Grand Prix d'Europe, ce Championnat du Monde,
A quelques secondes du triomphe une fois encore son Destin le force à s'incliner.
Il avait d'ailleurs l'avenir pour lui. Jeune encore, il pouvait connaître plusieurs années de succès internationaux. Il semblait destiné à devenir un jour le meilleur sans discussion.
Mais son Destin était plus héroïque: il allait conquérir définitivement la Gloire en tombant au Champ d'Honneur, pour son pays.
PORTRAIT DE POL DEMEUTER
Comme si ce n'était pas assez de la mort de Noir pour nous battre, le Destin frappe une seconde fois. « Par suite de ses blessures, reçues au Grand Prix d'Allemagne, le coureur belge Pol Demeuter champion de Belgique et d'Europe, est décédé dans la nuit. »
Cette annonce de la T.S.F., belle comme une citation à l'ordre du jour de la Patrie, apprend à cinquante mille motocyclistes consternés que l'irréparable est accompli. Un grand Destin est achevé. Jamais depuis que la moto existe, une série de victoires comme celles de Demeuter n'avaient été enregistrées.
Cinq dimanches de suite, le héros s'aligne. Cinq fois de suite il triomphe. Dans ces cinq courses il recueille les titres les plus enviés des coureurs, dont un seul suffirait à sa gloire: Champion de Belgique, Champion d'Europe. Et voici un sixième dimanche de soleil sur la piste noire. Demeuter s'aligne pour une victoire nouvelle: cette fois-ci il entre vivant dans l'Immortalité.
Quelle tristesse affreuse est la nôtre, à nous les F.M. Béistes, de songer que cette élégante silhouette du meilleur chevalier de la moto, si beau sous le casque et dans l'armure de cuir, ne sera plus jamais vue ! Est-il possible d'imaginer encore une course sans Demeuter ? Une victoire à qui son nom, clair et chantant comme un succès, ne sera pas accolé.
Ce deuil n'est-ce pas, est un deuil de famille. Celui que nous avons perdu, ce beau jeune homme au sourire spirituel, cet as modeste entre tous, vraiment, n'est-ce pas que nous l'admirions comme un frère ? N'est-ce pas que la famille motocycliste a perdu ses meilleurs fils ?
Et s'il ne nous reste plus rien que leur grand souvenir, il faut promettre devant ces tombes à peine fermées qu'il ne sera pas diminué. A cette charmante femme, qui était tout son amour, nous, les motocyclistes belges, nous promettons que ce 1er juillet à jamais terrible, prendra rang parmi nos plus grands anniversaires. Le nom de Pol Demeuter, champion de Belgique et d'Europe doit être immortel.
Nous promettons de l'enseigner à nos enfants!
SA CARRIERE
Demeuter courait depuis 1926. Il était alors amateur. Une série de magnifiques succès couronna ses premiers efforts et le décida à abandonner ses affaires pour aborder la course en professionnel. Engagé par Rush, il fit pour cette marque, deux belles saisons, dont l'apothéose fut une victoire au Grand Prix des Routes Pavées sur les équipes complètes des meilleures marques.
La première partie de sa vie de coureur se termine ainsi. Il a conquis le premier rang. Engagé par Saroléa, il justifie la confiance de ses dirigeants par une série de succès sensationnels. Dès ce moment, en 1929, il est le premier pilote de Belgique. Il fut le triomphateur moral de la « grande finale » de Woluwé, le circuit des experts et des audacieux où il n'avait cessé de briller.
Tout au début de 1930, un accident, en tourisme, le couche de longs mois sur un lit de clinique, et on ne le verra pas en course de toute la saison. Un autre eût cessé alors son activité de coureur. Mais Demeuter n'attendait que la saison 31 pour recourir, et gagner à nouveau.
C'est d'autant plus brillant que les conditions des courses se sont totalement modifiées entre-temps, et demandent aux pilotes des qualités différentes. Demeuter se réadapte à la course, et emporte en même temps que Noir le premier Championnat de Belgique.
Au Grand Prix de la même année, il réalise des prodiges de courage. Aux Routes Pavées, avec Grégoire, il termine premier ex-aequo, la main dans la main.
L'année 1932 fut très dure pour lui. Il était engagé à la F.N. où Van Hout s'occupait de mettre au point les machines de Marchant. Les motos n'allaient pas et le malheureux pilote accumulait malgré lui les insuccès.
Sa revanche n'allait pas tarder, et en 1933, il commençait la saison par trois splendides victoires consécutives. C'était d'autant plus beau que la course se modifiait de plus en plus, mais pour lui ce n'était encore qu'un essor.
Ce grand modeste, déjà le premier des Belges, se donne pour tâche d'apprendre encore. Il manquait de peu le Grand Prix d'Europe en Suède, redoublait de courage, passa tout son hiver à préparer la saison 1934.
Faut-il rappeler le reste?
Cinq fois consécutives, il emporte la victoire.
La quatrième fois, il est Champion de Belgique.
La cinquième en fait le Champion du Monde.
Pour la première fois les motos belges ont été susceptibles de dominer la compétition internationale. Dès la première fois on a trouvé des pilotes belges susceptibles de les faire triompher.
Il ne restait plus à Demeuter qu'à cueillir les fruits de sa belle carrière de neuf ans. Débutant comme amateur, quand Woods était déjà un as mondial, il avait su l'égaler.
Le 1er juillet, il s'alignait une fois encore et volait vers une sixième victoire. C'est en affirmant sa supériorité qu'il trouva la mort du héros.
LEURS FUNERAILLES
Les corps de nos deux camarades ont été ramenés en fourgon automobile de Chemnitz à la frontière belge. De nombreuses personnalités s'étaient rendues à leur rencontre mardi après-midi au bureau de douane. La F.M.B. était représentée par MM. Pire et Maréchal et la F.N. par ses plus hauts dirigeants. Beaucoup de clubs avaient envoyé des délégations.
Les cercueils furent transférés du fourgon qui les avait amenés dans un corbillard automobile venu de Liège. Cette translation se fit au milieu d'une émotion intense.
Le corps de Demeuter fut déposé à Liège, 5, rue Grétry, chez les beaux-parents du Champion. Une chapelle ardente avait été dressée. Des fleurs s'y amoncelaient.
Le corbillard transportant le corps de Noir s'achemina vers Bruxelles. L'inhumation y eut lieu vers 19 heures au cimetière d'Ixelles. Malgré la soudaineté de la catastrophe et la difficulté où la plupart d'entre nous se sont trouvés de se renseigner sur le jour et l'heure de cette cérémonie, des centaines de personnes étaient massées à l'entrée du cimetière. Non seulement les clubs de la capitale étaient représentés par d'imposantes délégations, mais les comités de plusieurs clubs de province étaient accourus précipitamment: L'Union Motor Dinant, le Motor Union Namurois, L'Union Motor de l'Entre Sambre et Meuse et même l'Auto Club de Beaumont Chimay. Beaucoup de licenciés étaient là, les larmes aux yeux. Le Conseil d'administration de la F.M.B. était représenté par une dizaine de ses membres.
À 19 heures exactement, le corbillard automobile atteignait le cimetière, escorté par plusieurs motocyclistes depuis la frontière (parmi eux M. De Bruyne, président de l'A.M.C. Bruxelles et notre collaborateur Jacques Ickx).
C'est au milieu d'une émotion indescriptible que le corps du pauvre Noir fut déposé dans la tombe. Des fleurs innombrables environnaient le lieu où il va reposer : il y avait là les fleurs que des mains pieuses avaient apportées de Namur, de Dinant, de Liège, etc.
, l'hommage de la F.M.B., de la Section Provinciale du Brabant, de l'Association des coureurs, des clubs de Bruxelles, deux magnifiques couronnes de l'Automobile Club d'Allemagne et du Corps Automobile National-socialiste, et émouvante entre toutes, la couronne de lauriers que les coureurs allemands avaient déposée sur le cercueil au moment où il allait quitter Chemnitz.
La douleur de la famille était poignante et c'est la gorge serrée que nous avons défilé devant elle, pour lui présenter les condoléances de la grande famille motocycliste. »
Le sport motocycliste belge a perdu ses trois meilleurs représentants en moins dun an. Grégoire à Francorchamps, lannée dernière, et puis Noir et Demeuter à Chemnitz, il y a à peine 15 jours.
Lambiance ny est donc pas vraiment. Cest une foule nombreuse, mais consternée qui se déplace à Francorchamps pour le Grand Prix.
« Le ciel était couvert et le temps incertain, ce dimanche quinze juillet pour assister au Grand Prix. Après les accidents mortels de Demeuter et Noir, la F.N. s'était abstenue de toute participation, c'était chose normale.
Les Norton qui ont encore dominé les principaux G.P. de la saison partent encore favorites. Elles sont aux mains de Handley et Dodson. Face aux purs-sangs de Birmingham, les Saroléa monotubes de Poncin, Lambert et Preud'homme, les Husqvarna suédoises et les Eysinck hollandaises constituent l'opposition principale.
Rapidement, et sans grande opposition, les Norton senvolent. Au premier passage, Handley précède de peu Dodson. Viennent ensuite les belges Lambert et Poncin sur Saroléa et les hollandais et les suédois.
Au second tour Van der Pluim, sur Husqvarna, s'est hissé en troisième position.
Handley, pour sa part, a bouclé ce circuit en 6'20", égalant le record du tour de Demeuter lors des championnats de Belgique du dix juin. »
On peut aisément imaginer lamertume qui plane sur le circuit. Les Norton nétaient pas plus rapides que les F.N. Leurs performances exacerbèrent un sentiment général de tristesse et de résignation. Un croquis au fusain, paru à lépoque dans Moto Magazine, reflète bien les pensées de tous : sur un tronçon du circuit, on y voit cette meute des Norton précédées de deux ombres blanches aux traits familiers. Cest sûr, Demeuter aurait pu nous loffrir, ce Grand Prix de Belgique.
« Mais voilà que le troisième tour nous rappelle linfinie insécurité des courses de moto de lépoque. Au virage de l'Eau Rouge, Lambert passe Van der Pluim.
Après le premier virage de la côte de l'ancienne douane, virage dit «le vélodrome», le hollandais accélère furieusement et reprend plusieurs mètres à Lambert.
Mais à cette allure, Van der Pluim ne peut négocier le virage suivant, sa moto pirouette, le pilote est jeté au sol et meurt aussitôt. Lambert essaye de passer entre la Husqvarna, le corps de l'infortuné batave et les arbres bordant le coté droit de la route. La Saroléa dérape et Lambert est, lui aussi, projeté sur la piste. Indemne, il rejoint son stand avec une clavicule, deux doigts et des dents brisés.
Toutefois, une des motos a heurté un groupe de spectateurs, parmi lesquels Madame Danthine, de Liège, doit être transportée à l'hôpital de Spa.
En tête pas de changement, Handley et Dodson roulent roue dans roue, ravitaillent et repartent ensemble. Les Norton ont course gagnée, Handley a établi une nouvelle moyenne record a 135,322 km/heure. »