A peine rentré dhôpital, Jules se remet en selle et sinscrit au « Trophée international » organisé par la F.N.
A cette époque, la F.N. est un des trois grands constructeurs de Herstal (avec Saroléa et Gillet). Sa renommée est mondiale. La F.N. équipe des armées, tant en matériel de guerre (armes et munitions), quen équipement et logistique (voitures, camions et motos). Ses motos se vendent dans le monde entier depuis une vingtaine dannées. Ainsi, sa célèbre 4 cylindres, « The Car on two wheels » comme lappellent les Anglais est un modèle prestigieux : cadre berceau, transmission par cardan et fourche à ressorts, en font un modèle de grande classe qui sera exporté dans plus de 40 pays.
Le développement fulgurant des « deux roues » en Europe et dans le monde entier (on vend des F.N. et des Saroléa jusquau Japon !) conduit les responsables du fabricant liégeois à organiser une compétition internationale réservée aux pilotes non professionnels.
De la Suède à la Belgique, des clubs sont ainsi appelés à organiser un maximum dévénements (randonnées, rallyes, compétitions
) où chaque participant, pour autant quil pilote une F.N., marquera des points selon ses performances. A lissue de lannée, un classement international attribuera, notamment, une moto de course au premier pilote de chaque pays.
Avec un tel programme, la F.N. fait coup double. Non seulement elle anime ses ventes auprès des jeunes recrues, mais en plus, elle dispose dun formidable observatoire, dune réserve de recrutement pour son programme de compétition naissant.
Car la F.N. a de grandes ambitions sportives internationales.
Elle veut mettre sur pied un programme de développement de moteurs et de motos de courses, avec pour objectif, de battre ce qui se fait de mieux alors en moto : les célèbres Norton anglaises et leurs pilotes mythiques.
Au début des années 30, ce sont en effet les anglais qui font la loi sur les circuits : les Woods, Hunt, Tyrell-Smith, Simpson et Guthrie trustent en effet toutes les premières places des Grand Prix internationaux et viennent chaque année ridiculiser les coureurs et les motos belges à Francorchamps.
Le programme de la FN nécessite de recruter les meilleurs pilotes, de leur confier un matériel de pointe, développé par les meilleurs ingénieurs et entretenues par les mécaniciens les plus habiles.
Déjà, le pilote René Milhoux fait partie du team, après avoir fait partie du team Ready et puis Gillet.
Milhoux, cest un véritable magicien de la moto. Metteur au point exceptionnel, il est en plus, un pilote dune habilité et dune finesse remarquables. Fils de Jules Milhoux, le premier belge à avoir dépassé les 100 Km/h sur deux roues, René fait de la moto une science presque exacte.
Il tombe rarement. Est-il dailleurs tombé ? Petit gabarit, il excelle dans toutes les catégories, de la 175cc à la 500cc. Il est excellent sur deux et sur trois roues (side-car) et il sest lancé, avec la F.N., dans une série de records du monde.
Car pour aller battre les anglais sur des circuits, il faut dabord être capable daller vite, daller très vite.
Pour chapeauter son équipe de compétition, la F.N. a également recruté ce qui se fait de mieux. Elle sadjoint les services dun ingénieur anglais, Dougal Marchant, transfuge des usines suisses Motosacoche, un homme à la discipline de fer et aux exigences hors norme. Marchant est assisté par un ingénieur liégeois : Van Hout et par deux ingénieurs et techniciens, Warnant et Hanquet. Toute cette équipe sous le contrôle du chef de service Pierre Herman
Marchant a dessiné une monocylindre, simple arbre à cames en tête, bloc moteur à quatre vitesses. La version 350cc développe 35 chevaux à 6.200 tours minutes sous un taux de compression de 9,5. Elle fonctionne avec un mélange 50/50 Benzine Benzol. Son poids est denviron 140 kilos à vide. Elle atteint la vitesse de 170 km/h. La version 500cc, dune puissance de 40 chevaux, est capable de dépasser les 185 km/h.
Et fin 1930, Doug Marchant se met à la recherche de pilotes.
Il veut une équipe dhommes rapides, intrépides, ambitieux. Pour cela, il va convier quelques jeunes recrues potentielles à ce qui sappelle très solennellement un « examen daptitude ». En dautres mots, une épreuve de sélection.
Cela se passera à Monthléry. A l'origine de la création, en 1924, de cet anneau de vitesse situé à 24 kms de Paris, près des villes de Linas et de Montlhéry, d'où son titre officiel d'"autodrome de Linas-Montlhéry", un industriel : Alexandre LAMBLIN. Ce propriétaire d'une usine de radiateurs d'automobiles et d'avions, par ailleurs possesseur d'un journal sportif, l'"Aéro-sport", eut dans l'idée de doter la France et, plus particulièrement la région parisienne qui est à cette époque l'un des principaux centres de l'industrie automobile française, d'un anneau de vitesse.
Long de 2 km 548 mètres et 24 centimètres - l'Anneau de Monthléry se compose de deux longues lignes droites en béton et deux virages relevés à la verticale qui permet toutes les audaces.
Tacheny a été repéré par ses succès régionaux, mais également par ses brillantes prestations lors du trophée FN.
Peut-on imaginer sa joie et son excitation lorsque la lettre dinvitation, cachetée du logo F.N. arrive à Scry ? Imaginez un instant ! Le petit jeune de Mettet, bourré de talents sest fait remarqué par une usine et se voit offrir la chance de réaliser ses ambitions.
Car être pilote dusine, cest tout autre chose. Cest faire partie de lélite de la moto belge et internationale. Au revoir, réglages de fortune et motos préparées à la va-vite dans un petit atelier. Finis, les petits week-ends à gauche et à droite, dans des courses de village.
Pilote dusine, cest le début de lascension sociale ; la consécration et la reconnaissance.
Un salaire, des mécaniciens, des ingénieurs, des conseillers, des motos rutilantes, bichonnées pour chaque course, un camion : cest le début de la gloire !
Il y a, à Mettet, à lUnion Motor, une vedette en puissance ! Et cette occasion est unique. Jules sait quelle ne frappe quune seule fois dans une carrière. Il ne veut pas la rater. Il sera le premier. Car il le sait, cela aussi, il y aura plusieurs postulants, mais un seul dentre eux sera retenu.
Quelques jours avant lévénement, il prépare sa moto pour le voyage. Sa mère lui prépare un costume pour la réception de présentation prévue sur place. Elle le plie soigneusement et le range dans une valise quon attachera avec de la ficelle sur le siège, au-dessus de la roue arrière. Pas déclairage ? Ce nest rien, une lampe de poche tenue entre les dents fera laffaire.
Et puis cest larrivée sur place, à Monthléry et les présentations. En cravate sous le cuir, bien sûr ! Marchant est froid, sec. Ils sont une dizaine de pilotes à avoir été conviés, dont notamment le Belge Pé, lAllemand Brant, le Français Maillant et lui, Jules Tacheny.
« Messieurs, voici une FN 350cc. La même moto pour vous tous, pour ne pas faire davantage. Tour à tour vous allez lenfourcher et rouler sur ce circuit. Je garderai le plus rapide dentre vous. Bonne chance ».
Lorsque arrive son tour, Jules sait que sa carrière se joue ici, à cet instant même. Soit il passe et son avenir souvre, soit il rate et il naura plus quà rentrer au village et se contenter de petites courses et dune vie de garagiste.
Alors dès quil prend son relais, il roule comme un endiablé et abat les tours.
Il y met toute sa rage
lorsque tout à coup, en bout de ligne droite, le voilà qui dérape sur un joint de plaques de ciment. Cest la culbute !
Catastrophe, après une embardée, Jules se retrouve à terre sur la piste, la jambe coincée entre le cadre de la moto et le pot déchappement. Celui-ci est porté au rouge par des heures de fonctionnement. Et juste au-dessus, le réservoir est fendu et lessence se met à couler, progressivement, sur son cuir. Aucune assistance nest prévue autour du circuit et Jules comprend que tout peut basculer, se transformer en tragédie. Bon Dieu, pourvu que lessence ne senflamme pas !
Son salut, il le doit à un pilote dessai français qui a vu la scène depuis les stands et qui sest jeté dans sa voiture pour venir le dégager.
Brûlé à la jambe au troisième degré, mais rageur, Jules reprend la moto et signe le meilleur temps. Il est retenu ! Il est pilote dusine. Adieu « Julot », bonjour « Tacheny »
Jules est fier. Il est comblé. Mais il garde la tête froide
et son garage.
En effet, tout est à faire maintenant. Il rentre en Belgique. Rendez-vous à Liège, aux usines F.N. pour signer son contrat, en présence de Monsieur Joassart, le Directeur général.
Ce dernier explique que la F.N. sest donné un an de préparation pour réussir. 1931 sera donc essentielle. Il sagira dune année de mise au point. Et on attend des pilotes, et notamment de Milhoux et de lui, Jules Tacheny, quils testent les solutions et quils poussent les machines au-delà de leurs limites.
Ce nest quen 1932 que la F.N. a prévu de faire sa rentrée officielle sur des circuits.
Fin décembre 1930, la première course de Jules sous la bannière F.N., Paris-Brest ou Les Six Jours dHiver, est un sérieux défi et se nourrit encore une fois dune anecdote qui illustre si bien les difficultés de lépoque, linconfort et linsécurité qui règnent sur le monde de la compétition.
Afin de parer aux longues étapes qui se terminent à la tombée de la nuit, les machines doivent être équipées dun système déclairage
à lacétylène. Pour que les motos restent les plus légères possibles, les techniciens ont monté sur la moto de Tacheny une simple dynamo de vélo qui ne résiste ni à la vitesse ni aux secousses.
Comme de nombreux autres pilotes, Jules termine le troisième jour dans le noir et dans une tempête de neige, et est forcé à labandon.