Dans la revue « Sambre et Meuse Motor » Numéro 5 de Juin 1951, Jules Tacheny remémorait les quelques souvenirs damis pilotes qui, comme lui, avaient sillonné les routes dangereuses des circuits dantan et avaient retenus, de ces moments particulièrement épiques, les événements que voici :
« Il est toujours intéressant de rappeler les souvenirs des anciens et de parler souvent de ceux qui vécurent dans le temps, les mêmes émotions, les mêmes enthousiasmes, déceptions, espoirs, revers ; de ces coureurs motocyclistes qui furent des vedettes.
Cest de lhistoire
Mais lhistoire est nécessaire et sert à auréoler ceux qui cèdent la place à la jeune génération
Cest pourquoi, je fais appel à leurs souvenirs, et je désire faire revivre dans ces pages les grandes figures de ceux qui furent mes compagnons et amis des épreuves de vitesse pure en ce bon temps davant guerre.
Ce bon temps, où presque toujours, la main dans la main, nous bataillions sur les circuits par amour du sport
bien plus que par but lucratif
Les coureurs, pour les spectateurs de courses, qui peuvent-ils bien être ?
Leur vie, leur métier de coureur, leur personnalité, ont toujours exercé sur le public une attirance extraordinaire
et font rêver bien des gens
Il y a autour deux, une atmosphère de mystère, de légende. Que dévénements tragiques, que démotions ressenties, que de merveilleuses victoires et de grisants succès ! Que de pénibles expériences, que dinutiles peines
que de décevantes heures après de grands espoirs et de longues illusions !
Quelles sont leurs pensées? Leurs réflexes ?
Comment réagissent-ils devant le succès, la défaite ou laccident ?
Pour vous faire connaître cela, jai cherché à réunir, pour vous, amis lecteurs, des souvenirs personnels à chaque coureur, et jespère que ceux-ci vous rendront plus attachants encore leur personnalité et leur souvenir.
Lémotion la plus habituelle, cest laccident grave.
________________________________________________
Ainsi
SCHOUPPE évoque-t-il le souvenir dune chute, au temps où ce brillant spécialiste de la 175 était un brillant coureur de la 350. « Au circuit des routes pavées en 1927, après avoir mené la course pendant une heure, mon pneu arrière a éclaté et déjanté dans la ligne droite darrivée à Pont-à-Marcq. Jai fait une embardée formidable à du 130 environ. Transporté à la clinique du Docteur Bechet, à Lille, jy suis resté dix jours et dus maliter deux semaines encore chez moi
»
_________________________________________________
Un moment émouvant dans la vie dun coureur peut survenir aussi à loccasion dun accident évité.
Voici
RENIER Fils, le meilleur, dans ce temps des jeunes éléments, qui retrace avec précision les émotions successives dun pilote en difficulté et qui sen tire pour finir.
« Cela se passait à Francorchamps où je venais de maligner pour la première fois. Je navais encore vu le circuit quen touriste. A la première séance dentraînement me voilà parti pour un tour vite.
Remontant vers la Source, jaborde à pleins gaz, ce que je crois être le dernier virage de la côte. Malédiction ! Je maperçois au tout dernier moment que je me suis trompé de virage. Je nen suis quau terrible virage Piérard !
Il est trop tard pour freiner. Je coupe les gaz, et jessaie de virer malgré tout. Toute lentrée du virage saccomplit de façon parfaite, quoique je fusse terriblement incliné. Quand tout à coup la machine se couche.
Traînant sur le repose-pied et le guidon, elle se rapproche de façon effrayante des arbres qui bordent la route. Croyez-moi, mes cheveux se sont dressés sous mon casque.
Un choc épouvantable dans la moto ! Cest la béquille qui vient dêtre arrachée par un arbre. Par je ne sais quel miracle, le coup redresse la machine
et me voilà roulant dans le gazon pendant une cinquantaine de mètres encore avant de pouvoir marrêter. »
_________________________________________________
Mais
Edmond CLASSENS additionne les vitesses dans un croisement
Ecoutons-le.
« Un certain jour de 1923, je faisais un essai sur la route dOostmalle en vue dune tentative de record. Jétais couché sur ma F.N.350, dans une position de sprint aussi effacée que possible, la manette des gaz poussée bien à fond, visant le milieu de la route par de furtifs coups dil sous le guidon.
Un soudain et formidable déplacement dair et tel un fulgurant coup de tonnerre- le vrombissement dun autre moteur à mes côtés. Je réalise que je viens de frôler un autre concurrent faisant un essai en sens inverse !
Cétait Piérard, sur son Indian 1000.
Nos vitesses additionnées 300 à lheure environ- ne nous avaient pas permis de nous apercevoir en temps utile. Un moment émotionnant, je vous lassure. »
_________________________________________________
Et
Yvan GOOR raconte :
« Au Grand Prix de Belgique 1933, la course comportait 20 tours au lieu 18 comme précédemment. Or, jétais en tête depuis le départ, quant au 19e tour, mon moteur commença à avoir des ratés.
Tout en roulant, jenvoyais au diable mon bon camarade Pire, me disant que sil navait rien changé, jaurais déjà gagné le Grand Prix.
Il fallait absolument changer de bougie et je navais que deux minutes davance. Je calculai que le meilleur moyen de faire vite était de marrêter dans une descente, afin de repartir plus facilement. Je le fis dans Masta. Le cur battant à grands coups, je changeai de bougie dans un temps record, et repartis aux applaudissements de la foule, sans apercevoir mon adversaire.
Je gagnai ainsi le Grand Prix, mais javais eu chaud
dautant plus quen changeant de bougie, je métais cruellement brûlé six doigts. »
_________________________________________________
Le populaire
Frans VANDERSCHRICK nous cite une nouvelle forme de la plus grande émotion dune carrière.
« Jai vécu le moment le plus émouvant, dit-il, aux 6 Jours Internationaux de 1936, quant à la fin du cinquième jour, mon joint de culasse sauta, me privant de tout espoir de gagner la Médaille dOr. »
_________________________________________________
Et
René MILHOUX, pour qui un rien compte
nous déclara avec toute la sincérité dun cur sensible (cest ici lexpression profonde des sentiments des coureurs et je communie pleinement avec mon cher Milhoux dans sa déclaration aussi vraie).
« Le moment le plus émouvant ?... Il ny en a pas
car pour moi TOUS sont émouvants.
Quand on aime, et quon le fait sérieusement, cest chaque instant, chaque seconde quon vit intensément. La moto en course, cest un être que jaime. Je la guide en la préservant autant que je peux. Mais pour moi, rien nest de trop pour la mener à la victoire.
Avec en tête cet idéal, poursuivi par une attention constante, tout compte, tout est beau, tout est émouvant du début à la fin de chaque course, depuis le commencement de sa préparation jusquà son résultat
»
_________________________________________________
Et notre ami
PONCIN nous dira :
« Au Grand Prix Defoin de 1931 (Falmignoul), où, vu le mauvais temps, la course des experts fut supprimée
, le vent soufflait en rafales formidables. Par moment il vous prenait comme sil allait vous arracher de la machine. En ligne droite, on roulait constamment incliné. Chaque fois quon passait une maison, le vent vous reprenait de plus belle et vous faisait zigzaguer dun bord de la route à lautre.
Je mattendais à voir la machine se retourner tout à fait !
Il y avait, avec cela, de la pluie et des grêlons qui vous frappaient au visage à vous arracher la peau. Devant les tribunes, la route était recouverte par une longueur de 200 mètres de terre jaune, apportée par les voitures qui avaient dû emprunter un chemin de campagne pour y parvenir.
Quelles glissades on y faisait ! Ce dut être beau pour les spectateurs, mais pour nous !
Deux tours avant la fin, jétais en tête, quand une crevaison mimmobilisa. Immédiatement après larrêt, jétais réellement aveugle et incapable de me diriger. La vue ne me revint que lentement.
_________________________________________________
Et voilà, chers amis lecteurs, des souvenirs émouvants de la carrière de quelques coureurs motocyclistes qui furent et qui restent mes amis. Il y en a dautres
et combien encore ?
On aime se retrouver ensemble pour évoquer ces souvenirs, pour nous, immortels
et davoir parlé deux ici, il me semble que je les ai rendus présents à tous et quils se penchent à mes côtés pour signer avec moi
car ce sont eux, autant que moi, qui vous ont narré nos belles aventures.
Jules TACHENY