Le cœur n’y est plus. Chez F.N., les patrons s’interrogent sur la pertinence de maintenir la section compétition. La crise économique bat son plein. L’heure bascule progressivement vers la production de motos moins chères et du coup, les arguments de vitesse et de puissance, surtout véhiculés par la compétition, passent au deuxième rang.

Les investissements pour la compétition vont se faire plus timides.
En outre, la mort de Noir et de Demeuter a découragé le team qui, pourtant renforcé par de nouveaux pilotes, se contente d’assurer les affaires courantes.

Parallèlement, la F.N. n’oublie pas sa raison sociale principale : la fabrique d’armes. Et sur ce marché là, le business est florissant.

Comme si les pénibles événements de Chemnitz ne suffisaient pas, le Club de Mettet perd son Président dans un tragique accident.

« 10 mars, une séance d’écolage était donnée au cercle de vol à voile de Florennes Philippeville, à Orêt Mont.

Plusieurs vols avaient été effectués et le moniteur lui-même, M. Philippe Evrard, venait de s’élever à une vingtaine de mètres et constater le bon état de l’appareil lorsque Jacques Rops prit place aux commandes du Zogling.

Après deux essais, le planeur s’éleva normalement à environ six mètres de hauteur, le pilote largua le câble de traction. Il était 14 h.35 et soudain… ce fut la catastrophe.
Brusquement, l’avion piqua du nez…
Une seconde plus tard, Jacques Rops gisait, la colonne vertébrale brisée, sur les débris de son appareil.

Une demi-heure après, l’infortuné rendait le dernier soupir.

M. Jacques, Emile, Charles, Félicien ROPS, Docteur en droit, Licencié en Sciences Politiques et Diplomatiques, Lieutenant de Réserve au 1er Guide, « Fondateur et Président de l’Union Motor Entre Sambre et Meuse », Membre du Conseil d’Administration de la Fédération Motocycliste Belge, né au château de Thozée le 25 janvier 1901, n’était plus… »


Le 15 mars, jeudi, au milieu d’une affluence considérable, eurent lieu les Funérailles, à Pontaury. Le corps est porté par les Membres de l’Union Motor. Trois avions viennent survoler le cortège.

Jules Tacheny, Président Sportif, dira :

« Les Sociétés sont un peu comme les familles… parfois la Providence les protège et elles s’épanouissent dans le jour sans qu’aucun malheur ne les frappe… d’autres par contre, sont particulièrement éprouvées et l’U.M.E.S.M. est de celles-ci.
Il y a quelques jours, la mort nous enlevait notre Président d’Honneur, M. Ernest Leclercq, bourgmestre de Mettet, personnalité influente qui nous était entièrement dévouée. Aujourd’hui, nous voici devant le cercueil de M. Jacques Rops, notre Président, notre guide, notre Ami. C’est à l’Union Motor que sa disparition se fait le plus cruellement sentir… c’est là qu’elle jette le désarroi, c’est là que la perte est irréparable.
En 1927, M. Jacques Rops devient Président de l’U.M…. A ce moment déjà, il se passionne pour les sports et comme Junior, dispute quelques courses.
Après les petites réunions sportives organisées à titre d’essai, notre Président a la grande joie de réussir, en 1929, la 1e épreuve de vitesse pure et en 1932, c’est le grand circuit, c’est la Belgique sportive qui vient voir nos pilotes bondir sur notre piste, c’est le succès le plus complet.
Ce magnifique essor, ce résultat splendide, il en fut le principal artisan, et le triomphe qui couronna les efforts de l’Union Motor est un peu son œuvre.
Le nom de Jacques Rops restera pour nous un emblème… et c’est le plus bel hommage que nous puissions rendre à la mémoire de notre Cher Président. Honorer les morts, c’est prier pour eux, c’est pleurer, c’est fleurir leur tombe, mais c’est aussi les faire revivre un peu en continuant l’œuvre pour laquelle ils se sont sacrifiés.
C’est pourquoi nous suivrons votre exemple, nous nous inspirerons de vos principes, nous maintiendrons debout le Club que vous aimiez tant. »


Le Conseil d’Administration de l’Union Motor a appelé à la Présidence du Club, en remplacement du regretté Jacques Rops, son frère, le Capitaine de Réserve, Philippe Rops. Philippe qui restera Président deux années durant, mais qui démissionnera deux ans plus tard pour cause de départ au Congo. C’est son autre frère Jean, que le Club appellera alors à la Présidence.


12 Mai, Grand Prix de l’Entre Sambre et Meuse

8e Grand Prix de l’Entre Sambre et Meuse, pour la première fois « International ».
La Commission des circuits est venue visiter minutieusement celui de Saint Donat et le rapport de ces Messieurs est nettement favorable. La belle piste formant le fameux circuit en huit est donc admise pour les épreuves internationales.

Pour la première fois, cette belle épreuve de vitesse pure pour motos et side-cars sera ouverte aux concurrents étrangers et par conséquent, classée comme Internationale.
En souvenir du Fondateur Président de l’Union Motor, tué récemment dans un accident de vol à voile, une coupe spéciale de valeur sera mise en compétition et dénommée « coupe Jacques Rops. »
Mais une fois de plus, Mettet ne sourira pas à Jules Tacheny. Il abat à nouveau le record du tour de la catégorie Seniors (128,751 km), mais la victoire revient à Grizzly (Gilbert De Rudder), qui, année après année, devient le nouvel homme fort de la compétition moto belge.

On signalera également la magnifique performance de René Milhoux, qui a réussi à battre le record du Tour que détenait le regretté Demeuter, en réalisant la vitesse de 131,330 km/h.

Toujours en mai Tacheny l’emporte au Grand Prix Maurice Defoin, à Falmignoul. Il est également premier, en juin, au Grand Prix des Frontières à Chimay. Il sera également à Floreffe.


Le 21 Juillet à Francorchamps, la FMB change les règles et décide que dorénavant, Championnat de Belgique et Grand Prix se dérouleront lors d’une seule et même course (les Champions de Belgique étant les belges les mieux classés de chaque course).

Le public est venu moins nombreux. Effet de la disparition des 3 pilotes belges ? Crise économique ?

L'essentiel du plateau se compose de Guthrie et Rusk sur Norton, du suédois Stromberg sur Husqvarna, du hollandais Van Hammersveld sur New-Imperial et de Milhoux, Charlier et Tacheny sur F.N..

Au premier passage, Guthrie entraîne Rusk, Milhoux, Stromberg et Van Hammersveld. Au troisième tour, Guthrie tourne à la moyenne record de 6'10". Au fil des tours et des ravitaillements, Charlier et Tacheny se sont rapprochés de Milhoux. Au dix septième tour, Rusk n'ayant pas encore ravitaillé, est leader avec 10" d'avance sur Guthrie.

Au cours de la vingtième boucle, Guthrie reprend le leadership et le garde jusqu'à la fin de la course. Rusk termine collé à la roue arrière de son équipier.

Plus loin viennent les F.N. de Milhoux, Charlier et Tacheny.

Au crédit de Guthrie il faut épingler une nouvelle moyenne générale record à 141,829 km/heure et un tour record en 6'06" soit 146,203 km/heure. La moyenne horaire de Guthrie est de 6,500 km supérieure à celle de Handley en 1934. Guthrie devait se tuer deux ans plus tard … à nouveau sur le circuit de Chemnitz…

La moyenne horaire de Milhoux est de 6,960 km supérieure a celle de Demeuter aux championnats de Belgique 1934 !


De ces chiffres, on peut déduire que F.N. et Norton se tiennent dans la course à la puissance. Et en comparant les vitesses « record » et « moyenne » des Championnats et des Grands Prix de Belgique des 5 dernières années, on s’aperçoit que les progrès mécaniques ont permis d’augmenter la vitesse de près de 40% ! Inimaginable.

Les titres de champions de Belgique sont décernés à René Milhoux (500 Inters), Jules Tacheny (500 Seniors), Antoine Colette (350 Inters) et Van Geert (175 cc).

Milhoux reçoit la coupe challenge « Noir » récompensant le pilote belge le mieux classé en 500 cc. Les équipes Norton et F.N. enlèvent respectivement la coupe du Casino de Spa et la coupe de la Chambre syndicale des constructeurs belges octroyés à la marque étrangère et à la marque belge ayant le plus de pilotes classés.

Le grand prix d'Europe motocycliste s'est déroulé en Ulster. En classe 500 cc, Mil¬houx a amené sa F.N. à une excellente deuxième place.

Fin 1935, F.N. laisse entendre qu’elle se retire de la compétition sur circuit de vitesse.

Conséquence des accidents de 1934 ? Réalisme économique, alors que les sommes engagées pour financer des écuries de compétition par des usines au trop petit rayonnement commercial deviennent trop importantes ? Changement d’intérêt au profit du motocross, domaine sportif plus en relation avec les besoins d’équipement des armées ? La messe est dite.

Jules Tacheny est encore et toujours parmi les meilleurs. Mais cette annonce précipite sa décision. Il s’arrêtera en même temps que son constructeur, celui qui l’a amené où il est. Il choisit alors d’arrêter la compétition. Solidarité ? Fidélité ? Prudence ?

Jules a vu ses meilleurs amis mourir sur la piste.
Il sait que la mort fait partie de la course. Et que les pilotes sont un peu les gladiateurs des années trente, ceux qu’on vient voir mordre la poussière. Jules aime sans doute trop la vie. Il raccroche son cuir et son casque.

Et puis, le temps de la famille s’impose.
C’est vrai que son épouse, Germaine, était terrifiée à chaque course. Dès le début de leur mariage et plus encore après l’hécatombe et les morts de 1934, elle avait décidé de ne pas le suivre dans toutes ses courses. Mais elle était toujours présente, par téléphone, et écoutait les commentaires qui grésillaient à travers les rares haut-parleurs disséminés le long des circuits. »

Et puis le temps du business aussi.
Fini le salaire de la F.N., les primes des sponsors et les récompenses à chaque victoire. Jules va devenir « Monsieur Tacheny » à temps plein. Il ramasse ses économies et quitte son petit atelier du centre du village pour construire, en fin 1937, un nouveau garage à l’entrée de Mettet. La renommée du pilote contribue au succès de son entreprise qui devient rapidement le plus grand établissement de la région. Avec un, deux, trois et puis quatre mécaniciens.

Une petite fille – Lucy - et une guerre plus loin, Jules Tacheny est devenu un homme d’affaires avisé.