Notre populaire, débonnaire, immortel, présidentiel Senior TACHENY, gagne sur son CIRCUIT.
500 Seniors 1er Tacheny.
Sa fille se rappelle très bien de ce fameux dimanche. Née en juillet 38, Lucy na pas vécu toute la carrière motocycliste de son papa, mais surtout son apogée. Elle a 8 ans en effet quand cest enfin la victoire à Mettet.
« Il pleuvait ce jour-là et on mavait mise dans un camion doù je regardais la course, se souvient Lucy. Au moment de sa victoire, jai entendu une véritable explosion de joie dans la foule.
Ton père a gagné, ton père a gagné ! me criait-on dans les oreilles.
Et aussitôt, papa me souleva et me déposa sur sa moto
et plus précisément sur son réservoir ! Cétait tout mouillé et tout froid, je naimais pas çà
Les supporters étaient nombreux et passionnés. Ils applaudissaient leur champion à tout rompre. Pensez donc, gagner sur son propre circuit, dans son village natal tant aimé ! Après vingt participations malchanceuses, cétait une véritable consécration pour papa.»
Pour saluer lévénement, Jacques Ickx, crée dans Moto Magazine, la rubrique « LHomme du Jour ». Cest Jules Tacheny qui a droit à ses premières colonnes. Et larticle est touchant. Plein de vérité. Cest la reconnaissance de la plus belle plume sportive au plus acharné et au plus obstiné des pilotes belges.
« LHOMME DU JOUR »
Jules Tacheny
Jules Tacheny ! Président, organisateur, revenant de la compétition et triomphateur ! On en parlera sous le chaume à Mettet et dans lEntre-Sambre-et-Meuse. On en parle dailleurs dans toute la Belgique.
Sans être un vieux, Tacheny est un ancien. Ses débuts datent de 1929. Voisin de chambrée de Bentley durant son service militaire, il est conquis par lui aux joies de la moto. Il achète un vieux clou. Quinze jours après ses premiers pas motocyclistes, il emporte, et de quelle manière, lépreuve intime de Mettet.
Et voilà notre Tacheny acquis aux joies de la vitesse. Je le revois au départ du Grand Prix des Frontières, monté sur une F.N. 67. Au virage de la Bouchère, il passe en trombe par lextérieur Bentley, qui freine. On voit lahurissement se peindre sur la face de Bentley. On voit aussi des remous de foule. Tacheny sest abattu, le coin tourné.
Cette fougue endiablée, Tacheny ne la perdra pas dans les années à venir. Même après quil eût acquis la célébrité par les 41 records du monde quil partage avec René Milhoux en 1931, même après quil fut devenu équipier officiel de F.N. dans les courses en circuit, Tacheny restera toujours le bolide fougueux qui plaît à la foule, parce quil ne cesse de létonner.
Maintenu en catégorie senior, jamais il naura la meilleure machine de léquipe, mais toujours ou presque, à quelque moment de la course, il sera en tête de ses coéquipiers. Il lui arrive certes souvent de ne pas terminer, mais il lui arrive tout aussi souvent de se classer premier ou aux places dhonneur. Il est catalogué « as » dans toute lacception du terme. Cest une grande vedette du motocyclisme belge.
Cette vedette est aussi un sportif né. Quand Demeuter emporte le Grand Prix dEurope à Assen, en 1934, le premier télégramme quil reçoit dans sa chambre dhôtel est celui de Tacheny, avec qui on sait généralement quil sentend mal, et qui a fait vainement des pieds et des mains pour être aussi du déplacement.
A la fin de la saison 1935, qui lui vaut encore de jolis succès, Tacheny dépose brusquement les armes. Cest que la F.N. a pratiquement renoncé à courir. Et Tacheny, qui na jamais couru que sur F.N., sauf une brève période où il conduisait une 350 A.J.S., ne veut pas rouler sur une autre machine.
Du reste, le garage quil a établi, lagence F.N. dont il dispose, ont pris de lampleur, lui demandent de plus en plus de temps. De coureur, Tacheny se transforme en businessman. Il na jamais été svelte mais, cette fois, il devient gros. Comme sa stature est imposante, cela lui donne un air de grande dignité. On salue maintenant en lui « Monsieur » Tacheny. On dit adieu au coureur. Lui-même a dit adieu au motocycliste quil y avait en lui.
La guerre fait un grand vide dans lUnion Motoriste de lEntre-Sambre-et-Meuse. Qui va tâcher de remettre les choses sur pied ? Tacheny, qui en accepte la présidence. Grimpant encore dun échelon, il devient administrateur de la F.M.B. Cette fois, on peut considérer que la gloire de Tacheny est définitivement une vieille gloire.
Mais la mouche de la compétition le pique à nouveau. Il sest mis en tête de courir encore une fois à Mettet, sur « son » circuit où jamais il na pu seulement terminer, quoiquon ly ait vu bien souvent en tête.
La F.N. vient à son aide en lui montant tant bien que mal une machine avec tout ce quon peut encore réunir comme pièce. Lui-même fera un gros effort pour entrer dans son équipement de cuir, pour serrer sa ceinture à la limite de la résistance.
Mais la machine arrive trop tard. La besogne lempêche de sentraîner. Quand il samène au départ, on nattend de lui quune démonstration de sportivité. Mais au bout dun tour, on a compris. Quand on a été Tacheny, on le reste, même si on sest reposé douze ans sur ses lauriers. Au bout de trois ou quatre tours, cela tourne à la sensation. Au dixième, on sent que Tacheny va gagner, et on boit, on boit, tout le long du circuit, à sa santé.
Nous sommes convaincus que Tacheny aura vu venir les derniers tours avec inquiétude. Il a dû se dire que sa fidèle ennemie, la panne, devait le guetter à chaque tournant. Mais, mal informée sans doute, la panne manqua son rendez-vous annuel dantan. Tacheny termina et termina en triomphateur.
Il paraît quautrefois les motocyclistes de lEntre-Sambre-et-Meuse étaient divisés en deux clans : les pro-Tacheny et les anti-Tacheny. Aujourdhui, cest de lhistoire ancienne. Nous sommes bien sûr que si la place de maïeur était vacante à Mettet, Tacheny pourrait la briguer, avec la certitude de répéter sa victoire de dimanche qui fut la course, le triomphe de sa vie !
Jacques ICKX
Alors, fort de cette belle victoire, Jules Tacheny se remet à rêver.
Et pourquoi pas une autre course ?
Et cest Chimay, toujours sur la 500 F.N.
Ensuite, cest le 30 juin, à Bruxelles. LUnion Motoriste Uccloise a en effet décidé dorganiser un Grand Prix au Bois de la Cambre. Un Grand Prix à deux pas de la capitale, et sur un tracé magnifique.
Laventure est tentante. Et puis il y aura Grizzly, qui depuis ses sages débuts en 1932, est devenu intraitable sur les circuits. Et puis, il y aura son grand ami Fergus Anderson, ce grand pilote anglais, probablement le meilleur de sa génération. Pourquoi ne pas se frotter à eux ? Juste pour voir ! Et pour entendre encore et encore les cris et les applaudissements grisants de la foule.
Et ce Grand Prix de la Cambre va à nouveau être le théâtre dune course passionnant et dun fait darmes exceptionnel !
« 30 Juin - 2e Grand Prix de la Cambre »
« Le Grand Prix de la Cambre, organisé par lUnion Motoriste Uccloise, à Bruxelles, a remporté un triomphal succès. Effrayant daudace, GRIZZLY y a littéralement tenu en haleine pendant plusieurs tours une foule évaluée à plus de 25.000 personnes.
Sa victoire dans la catégorie 500 cc. Seniors-Internationaux a été saluée dovations enthousiastes. Toutes les autres courses furent âprement disputées. Lorganisation peut être qualifiée de grandiose.
Ces Messieurs de lUnion Motoriste Uccloise ont eu à subir, dimanche dernier, le plus sévère examen auquel ils puissent être soumis. Sujet du concours : fournir au public un vrai Grand Prix.
Certains pensaient que, cette fois-ci, ils seraient « recalés ». Mais on connaissait mal les studieux élèves Ucclois, les Libberecht, Derycke, Carlier, Steelandt, Pagnier et autres « Frère ». On bûcha, piocha et, samedi, jour douverture des examens, les candidats étaient au poste. Jusquau dimanche soir, les réponses jaillirent, claires, précises, apportant la lumière surtout : un circuit spectaculaire dans un cadre magnifique, une très grande tribune, des installations parfaites pour les chronométreurs et la Presse, un speaker à la hauteur fournissant une profusion de renseignements intéressants au cours des épreuves, un nombre impressionnant dengagés, des haut-parleurs séchelonnant nombreux sur tout le circuit, un service dordre impeccable, assuré par la gendarmerie et la police, un détachement de M.P. belges, des grands panonceaux publicitaires rendant parfaitement latmosphère des Grands Prix, six heures de sport attrayant et sans longueur, et pour couronner le tout, des spectateurs par milliers, un enthousiasme allant jusquau paroxysme durant la dernière course, des luttes magnifiques souvent indécises de bout en bout.
Le public, ce jury impitoyable qui ne pardonne aucune faute, a rendu sa sentence : grande distinction et félicitations.
La course des 500cc.
Il était une fois deux chevaliers faits pour sentendre, mais dès quils montaient leurs rapides chevaux dacier, cétait fini, ils bataillaient à qui mieux, mieux. Ces chevaliers modernes vous les avez reconnus : Grizzly et Anderson. Le signal de ce tournoi était à peine donné que Anderson fuyait à toute allure pour rééditer son exploit précédent. Dautres adversaires le suivaient, notamment Knynenburg, Tacheny, Grizzly, Laurent, Wood, Stamm, Kauffman, Martin. Grizzly passait Tacheny au tour suivant, puis se débarrassait du coriace Knynenburg et, au quatrième tour, il chassait Anderson. Le duel fut bref et nous le présenta bientôt en tête, suivi dun Anderson batailleur et vireux superbe.
Derrière ces deux pilotes, le combat faisait rage dans tous les compartiments, car Laurent, Knynenburg, Kauffmann et Tacheny étaient roue dans roue et se passaient et se dépassaient sans cesse.
Cétait la grande bagarre. Cela ennuyait, semble-t-il, le taciturne Kauffmann, qui sen alla méditer seul un peu en avant. Mais, quà cela ne tienne, on invita dans le quatuor, Martin, et lamusement reprit de plus belle.
Grizzly pilotait avec une maîtrise jamais vue et chaque tour de roue affirmait sa supériorité, mais un incident de course survint :
La chute du héros
Redresser la machine et la remettre en marche en vingt-cinq secondes, cest un tour de force digne de Grizzly. Mais 25 secondes, ça compte ! Cela a suffi à Anderson pour prendre une confortable avance. Grizzly se présenta bientôt entre deux haies de spectateurs consternés et terriblement anxieux sur son sort. Sa réapparition mit un rayon de joie sur tous les visages. Il était là !
Alors, ce fut prodigieux. Le Centaure, faisant corps avec la machine, fonçait dans les virages, reculant toujours les possibilités humaines vers des limites jusqualors insoupçonnées. Et malgré tout lon sentait le pilote calme. Pas un muscle de son visage nétait crispé. Il accomplissait une mission périlleuse, mais dont il connaissait le prix et la grandeur. Tour par tour il pourchassait un Anderson renseigné parfaitement et qui fendait lair à toute vitesse, tel un démon moderne. Peu à peu, lincertitude se mura en espérance, car les secondes décart diminuaient et les records tombaient. Au 12e tour, 121 km.090, deux tours après 122 km.684. De 13 secondes à la 19e boucle, le retard tombait. Il nétait plus que de 7 secondes au cours du 21e tour. Et soudain le miracle sannonça. Grizzly aborda le virage des tribunes dans le sillage dAnderson. Chacun est anxieux. Les chevronnés du sport eux-mêmes ne cachent pas leur émotion. Ce que Grizzly tente est fou daudace. Va-t-il réussir. Le voici qui se présente en triomphateur à la ligne darrivée, au milieu dacclamations qui tiennent du délire. Anderson suit, relevé et souriant, reconnaissant sportivement que notre représentant était le meilleur pilote européen. Il mérite également une large part du triomphe, car Fergus est sûrement un des meilleurs pilotes du moment.
Ainsi se termina, sur une apothéose, cette journée de sport, comme on nen avait plu vu depuis longtemps en Belgique. »
Cette victoire vaut à Grizzly dêtre « lHomme du Jour » dans la revue Moto Magazine. Un portrait tout en finesse et en anecdotes :
LHOMME DU JOUR
Grizzly
LHomme du jour. Non. LHomme de Tous les Jours.
Chaque dimanche que Grizzly court, cette rubrique pourrait lui être réservée le vendredi suivant. Car, à chaque course, sans exception, il fait quelque chose dexceptionnel, quelque chose quon nattend pas, quelque chose qui malheureusement éclipse un ses concurrents.
Mais, comme noblesse oblige, il ne suffit pas dun exploit de Grizzly pour lui valoir sa place dans cette galerie. Va pour un autre coureur, mais pour Grizzly on attend quelque chose, non pas dexceptionnel, mais dexceptionnel MÊME POUR LUI. On attend, par exemple, quil ait gagné « la couse de sa vie ».
Cest chose faite aujourdhui. La course de Grizzly au Bois de la Cambre a été, non pas un sommet, mais bien un sommet du sport motocycliste belge. Jamais on navait vu rien dapprochant. Jamais une course perdue na été gagnée aussi sensationnellement sur la valeur réelle des deux adversaires.
Comme le Poeske en cyclisme, Grizzly est toujours capable de se dépasser lui-même et darracher dun bond de chat la victoire compromise. Seulement, dans le cas de Grizzly, ce bond est un bond de douze kilomètres.
Inutile de retracer sa course du Grand Prix de la Cambre. Disons dun mot que jamais une foule na participé comme dimanche à leffort dun pilote. Sa victoire fut véritablement une victoire nationale.
Grizzly, le meilleur coureur DE TOUS LES TEMPS !
Ce nest pas le sagittaire qui le dit. Ce nest même pas Jacques Ickx, grand ami de Grizzly, comme on le sait, cest René Milhoux, autorité n°1 en matière de pilotage. Jacques Ickx aurait dit : Un second Guthrie. Milhoux proclama : Même Guthrie na jamais fait ce que fait Gilbert.
En un mot, cest un patrimoine national que notre Grizzly. Et cest un patrimoine qui nous restera longtemps car, même sil surgissait un nouveau Grizzly ce qui nest pas le cas il faudrait à cette nouvelle vedette combler les dix ans dexpérience du Grizzly dorigine pour pouvoir devenir son égal. Grizzly est sûr de rester Grizzly lunique pour de nombreuses années encore.
Ce qui paraîtra réconfortant aux jeunes à qui tous les espoirs sont encore permis, cest que Grizzly a eu des débuts singulièrement peu prometteurs. En 1932, comme débutant et montant une 250 OK-Suprême, il ny était pas du tout. Il ny était pas beaucoup plus en 1933, passé seniors sur une 350 A.J.S.
Entré en possession par hasard dune Saroléa Monotube quil naurait pas osé commander ne se trouvant pas à la hauteur il aborda la saison 1934 sans savoir ce quétaient une bougie froide et une bougie chaude.
Mais ici, son histoire fait un tournant brusque. Abordant en inconnu les 300 kilomètres du circuit de Floreffe, il les termina en vedette nationale. Quoi quil neût été que premier senior, derrière les trois F.N. des Internationaux, il était devenu célèbre en moins de trois heures
et il lest toujours resté.
Pourquoi ? Parce que ce jour-là, le débutant, dont on nattendait pas grand chose, fit pour la première fois cette chose qui est unique, même si elle a été cent fois répétée depuis : une course de Grizzly.
Et comme Grizzly navait alors ni sa tactique, ni son style policé, vous imaginez ce que ce fut comme sarabande. Du shimmy de bout en bout. « Jai confiance dans la tenue de route de ma machine », disait-il après cet exploit déquilibriste. Grizzly avait alors 22 ans.
Une place dans léquipe Saroléa lui était dores et déjà réservé. Il la prit en 1935 et, toujours senior, fut immédiatement le premier pilote de lusine.
Passé international en 1936, il fut, dès cette année, la vedette belge.
En 1937, il sattaque au MotoCross. Première course, à Louvain : vainqueur avec sept minutes davance. « Pourquoi, lui demandait-on, navez-vous pas couru en cross plus tôt ? » Sa réponse : « On ne me lavait pas demandé. »
Depuis, à chaque course, en tous-terrains comme en circuit, et quelque machine quil ait montée, Grizzly a été le meilleur homme en piste, et un autre na gagné la course que si Grizzly avait été en panne ou accidenté.
Cest, du reste, arrivé fort souvent, car il faut bien dire que de tous les coureurs, Grizzly est, à notre connaissance, celui qui a eu le plus de malchance. Il prépare ses courses comme pas un. Toujours un rien imprévisible vient le frustrer de la victoire.
« Si javais seulement gagné la moitié des courses où jai dû abandonner en tête ! » disait-il un jour, dans un moment damertume. De ne pas les avoir gagnées na dailleurs jamais empêché que, pour tout le monde, il fut Grizzly.
La vie extra-motocycliste de Grizzly a eu aussi des tournures assez inattendues. On le voit dabord aide-pharmacien, puis aide-pharmacien et coureur à la fois, puis coureur tout court, puis il passe un hiver à apprendre la mécanique, et le voilà coureur et mécanicien. En juin 1940, il est même pompier pour quelques semaines à l'aérodrome de Toulouse. Rentré en Belgique, il ne dédaigne pas de seconder sa femme dans son commerce d'alimentation. Mais il lui faut quelque chose de moins banal. Il se fait bûcheron, puis charpentier, puis menuisier, et se construit seul un chalet sur un terrain déboisé par lui. La guerre finie, il s'établit garagiste. L'affaire prend de l'extension. Le voilà maintenant businessman, et prêt à inaugurer de superbes installations.
Mais pourquoi ce nom de « Grizzly » ? se demandera-t-on peut-être. On va vous le dire en confidence. Cest un souvenir de jeunesse. Cest le « totem » quon lui avait donné du temps quil était boy-scout, car Grizzly a parfois le caractère le plus bougon, le plus ours quon puisse imaginer. Il y a des jours où il nest pas à prendre avec des pincettes, et qui ne le connaîtra pas intimement aurait fort mauvaise impression de lui.
Le reste du temps, il est gai et volontiers comique. Les ours aussi sont facilement comiques quand il leur arrive dêtre joyeux.
Comment expliquer cela ? Le secrétaire Général de la F.M.B. croit avoir éclairci ce mystère. Il raconte volontiers cette histoire : Un matin de course, il découvre Grizzly au fond dun garage, occupé à « tripoter » à sa machine. Il sapproche du champion et lui dit gentiment bonjour. Une sorte de rugissement lui répond. Pas même un regard ne lui est octroyé. Tout penaud, il sen va et apprend bientôt que Gilbert a travaillé toute la nuit à sa mise au point. Le soir, après une victoire splendide, une victoire à la Grizzly, lours sest transformé en un homme heureux et souriant, et lui qui ne boit jamais que de leau, il convie avec exubérance à la dégustation dune fine, celui que, le matin même, il avait si rudement éconduit.
Tout Grizzly est dans cette petite histoire. Lorsquil sattaque à quelque chose, il sy consacre tout entier, concentré, tendu vers le but à atteindre. A ces moments-là, cest un taciturne, un renfermé.
Le but atteint, il redevient le plus charmant garçon de la terre. Il lui arrive alors de faire des confidences, dont il est avare en dautres temps. A ceux qui ont eu lheur de lui plaire, il raconte ses souvenirs de course. Pendant des heures entières, on reste sous le charme de sa parole. Avec pondération, toujours modeste, il vous introduit dans le secret de ses aventures. Il parle de ses voyages, de courses, de ses victoires, de ses chutes mémorables ; vous fait part des enseignements recueillis, il donne, en termes amicaux, son appréciation sur un adversaire.
Et alors, on comprend pourquoi Grizzly est le grand champion quil est. Tout, chez lui, est calculé et réfléchi. Ce qui, de la part dun autre, apparaîtrait comme une folie, est entrepris par Grizzly en pleine connaissance de cause, après avoir pesé le pour et le contre, après avoir envisagé toutes les éventualités, y compris la manière de tomber
Cest là la grande leçon dont les jeunes doivent sinspirer. Grizzly est le modèle qui doit les guider.
LE SAGITTAIRE
Ovationné, porté en héros par la foule bruxelloise le 30 juin, Grizzly devait se tuer, à peine 15 jours plus tard, à Knokke, lors des entraînements, en percutant un arbre lors dune chute.
Décidément, ny aura-t-il que des tués ?
1946 sachève avec la course de côte de Namur, avec son ami Léon Martin.