Et c’est reparti pour quelques années encore.

En 1947, toujours sur sa F.N. vieillissante, il est de retour à Chimayil est opposé à Joeck West sur AJS. Il court aussi à Gedinne et entraîne avec lui une bande de fans et d’amis de toujours. Et puis, il y a Ostende, à l’aéroport de Lombardzijde où il s’adjuge une très honorable 4e place en Seniors-Internationaux. Et aussi Genk, où il remporte à nouveau la victoire.

Le Président est certes un peu plus enveloppé, mais toujours aussi alerte, incisif, et bagarreur.

A côté des compétitions, il participe également à plusieurs événements plus populaires, comme le rallye Namur-Mettet, où règne une étrange bonne humeur. Ou comme « L’Etoile du Hainaut », organisée par la célèbre Marianne Weber, où il réunit une équipe « Union Motor ».

En 1948, c’est l’adieu définitif à la F.N. : définitivement dépassée.
Il passe à l’ennemi, s’achète une Norton MANX.

Ah, il n’est pas peu fier avec son nouveau jouet. Un rien séducteur en même temps. A peine reçue, la moto est préparée pour la compétition. Et ainsi entame-t-il deux nouvelles saisons.

En septembre 1948, le club de l’Union Motor offre une cloche à la paroisse de Mettet. En effet, l’objet avait été volé par les troupes allemandes en stationnement durant la guerre. En procession, les motards livrèrent la cloche (pas moins de 600 kilos) en descendant du circuit.

1949 est à nouveau une année infernale.

A Chimay, il s’adjuge une magnifique deuxième place, derrière l’intouchable Fergus Anderson et ensuite. A Mettet, il reçoit la visite surprise de son ami et coéquipier René Milhoux ! Il passe la journée à changer de tenue : en cuir comme pilote du Grand Prix de l’Entre Sambre et Meuse, et quelques minutes après, en costume de Président du Club, pour féliciter ses camarades et pour échanger ses impressions. Et puis c’est aussi Francorchamps où il ferraille à nouveau avec Anderson.

« Quelle époque ! Poursuit Lucy.

J’étais alors en pension aux Dames de Marie à Bruxelles. Le jour de ma communion, papa était absent ! Il courait à Chimay, un circuit dangereux. Maman transissait de peur et les bonnes sœurs aussi ! Maman a dû organiser le dîner de communion une semaine plus tard et les bonnes sœurs ont dû m’accorder une dérogation pour pouvoir sortir. Elles ne voyaient pas tout çà d’un très bon œil.

On passait toujours après…

Avec un mari souvent absent, prenant des risques en compétition, en Belgique comme à l’étranger, maman n’avait pas le choix, elle se devait d’être fort accommodante. »


Et puis le 30 avril 1950, course à Mettet, à nouveau avec Anderson et Lorenzetti (qui, durant le week-end, installent leurs Motos Guzzi au garage Tacheny)

Des frayeurs, il y en aura encore quelques-unes !

Comme ces entraînements où, roulant depuis plusieurs tours sans cuir ni casque, il est arrêté par un ami qui l’adjure de s’équiper. Heureuse initiative car la chute survient au tour suivant. Sous la violence du choc, son casque est fendu en deux parties. Jules est indemne. Son casque sera exposé au Salon de la moto suivant…

Et cette autre fois, en 1950, quand Jules fait une terrible chute sur le circuit du Boulevard de Mettewie à Bruxelles. Il se broie le pied entre la bordure et la moto et doit rester inactif pendant des mois.

Il profite alors de cette période pour lancer la revue du club « Sambre et Meuse Motor » qui informe toute la région des évolutions et des faits marquants dans le domaine des sports motorisés.


Et Mettet voit toujours plus grand, plus spectaculaire. Pourquoi ne pas organiser une course de Formule 2 ? Malgré un budget ahurissant (il ne faut pas moins de 600.000 francs de l’époque pour obtenir le déplacement d’une douzaine de voitures), Mettet fera vibrer, pour deux années consécutives – le 10 septembre 1950 et le 15 juillet 1951 - les moteurs de Ferrari, de Simca et de H.W.M sur son diabolo.

Pour la plus grande satisfaction des passionnés de voiture de sport, comme son ami Rodolphe Thibaut, dessinateur des affiches de course à ses heures perdues, des noms aussi prestigieux que Moss, Ascari, Trintignant et autres Manzon tourneront sur le « 8 », drainant un public nombreux et effaré de voir de telles célébrités débarquer dans un si petit village.

Finalement, en 1952, suite à plusieurs accidents sérieux, il met définitivement fin à sa carrière en courant son dernier Grand Prix. Et une fois encore, c’est l’événement. Jules a 45 ans. Sa corpulence est devenue légendaire. Et pourtant, il décide de finir en beauté. Ce sera à Waremme. La presse s’empare de l’annonce :

10 août 1952 - Troisième Circuit de Hesbaye, à Waremme
Un événement qui pourrait être sensationnel s’il n’était qu’un désir légitime d’un coureur, ancien recordman du monde, qui veut encore s’essayer sur les pistes de courses sans forfanterie et surtout sans désir de vaincre qui que ce soit, telle est la vraie signification de la rentrée en compétition de Jules TACHENY, à Waremme.

… Un retour en arrière qui allait lui redonner l’illusion de ses vingt ans et de sa victorieuse jeunesse, en faisant revivre en lui toutes les émotions jadis ressenties et aussi se rappeler tous les disparus qui se sont penchés sur ses victoires. Qui n’a donc jamais connu dans sa vie, ce désir irrésistible d’un retour en arrière, ce soulèvement du voile qui ouvre le passé sur lequel on se penche … pur souffrir davantage … Ce n’était pas un jeu … un caprice, ce n’était pas une folie … C’était le coureur qui se cherche et se retrouve.

Et c’est Waremme qui bénéficiera de ce renouveau, qui aura la chance de revoir, après une éclipse de plus de 3 années, le grand champion que fût Jules TACHENY.
Un grand quotidien, dès le samedi matin, annonce cette nouvelle … un autre la confirme et c’est la ruée motocycliste sur les chemins de Hesbaye pour aller voir tourner J. TACHENY.

Dès mon arrivée sur le circuit, je vais chercher à sentir l’opinion publique, en circulant et recueillant tous les propos de la foule qui devient nombreuse …

Enfin, les 500 cc. sont là…
Tout le monde s’entasse à la ligne de départ et il faut voir l’homme du jour… C’est le numéro 1. Sous le casque qui lui sert la tête … oui, c’est bien lui… et nous voilà reporté au temps heureux de ses victoires…
C’est toujours la même figure gonflée par le casque qui l’enserre… Ce sont les mêmes traits que ceux de celui que nous félicitions dans sa dernière victoire à Mettet en 1946.

A ses amis, cela fait un immense plaisir de le revoir ainsi. C’est Tacheny, enfin retrouvé ! Bonheur très court, qui se traduira par l’inquiétude de le voir tourner… mais vite dissipée par la régularité de sa course.

Parti quatrième derrière Goffin, Basso et Raffeld, Tacheny gardera sa place jusqu’à l’arrivée, avec un Goffin décidé à doubler tous les concurrents, mais avec aussi Basso décidé à ne pas lâcher le leader.
Raffeld sera le trait d’union entre nos deux coureurs du Royal Union Motor.

Mais les spectateurs se passionnent, car Tacheny passe et repasse. Goffin a doublé Gerrebos au 7ème tour, au 8ème, il double Gobel, Van Fleteren et au 10ème, il doublera Tacheny qui dût s’arrêter pour vérifier le débit d’huile de sa Norton (en rodage), au 11ème, logiquement, il devrait doubler Raffeld, mais la course s’achève au 12ème tour… le champion de Belgique a sa pitance, ça lui suffit.

Mais à la foule, qu’importera les doublés de Goffin qu’elle était sûre de voir terminer victorieux ? Elle ne vit aujourd’hui que la course de Tacheny… qui franchit la ligne d’arrivée sous les acclamations des sportifs heureux de sa belle prestation.

Un très grand bravo aussi à ce cher Francis Basso, notre coureur pour ses admirables prestations à Waremme.
Goffin se classe premier en 33’ 05 » (145 km 069). Basso se classe second en 33 ‘ 51 » (141 km 106). Raffeld se classe troisième en 35’ 51 ». Tacheny se classe quatrième en roulant à la moyenne de 137,854 km.

Le speaker dira : « Quelle admirable leçon de vaillance, d’endurance, de sportivité que donne aux jeunes, ce vétéran qu’est Jules Tacheny, il est né avec une moto dans le cœur, des courses et un circuit dans le cerveau et par-dessus tout, une âme essentiellement sportive … .
Une page brève dans notre histoire est tournée… et tandis que les motos 12 et 25 s’éloignent de Waremme, remorquées par deux puissantes voitures … on se demandait si c’était bien une réalité que cette réapparition de Tacheny sur un circuit de vitesse pure ! … ou un rêve !»


Mais même si à cette époque, il abandonne la compétition, le virus de la moto est bel et bien ancré en lui. Jusqu’à la veille de sa mort, malgré des difficultés de marche (son pied broyé à Mettewie) et une souffrance certaine, il roulera toujours sur ses bolides.

Au sujet de sa première rencontre avec Jules Tacheny, Philippe Schmidt, ancien responsable de la promotion chez Honda, confiait l’anecdote suivante :

« J’étais d'un voyage au cours duquel les concessionnaires de la marque sont invités à essayer les nouveaux modèles mis sur le marché. Je vis arriver un vieux monsieur, accompagné d'une femme encore jeune, son épouse. Ce vieux monsieur se dirigeait vers les motos. Comme toujours, lors de nos voyages, il y avait un car à l'in¬tention des agents qui ne sont pas motocyclistes ou qui ne souhaitent pas rouler.

Je me précipitai aussitôt au-devant de ce vieux monsieur, qui ne me permit pas d'achever ma phrase: «Non, non, moi, je vais essayer ces motos ! »

J'étais plus qu'inquiet: une peur terrible qu'il ait un accident. Il s'installa au guidon; on démar¬ra; je me mis derrière lui pour voir comment il s'en sortait, et je pris, ce jour-là, une des plus belles leçons de pilotage de ma vie.
C'est ainsi que je fis la connaissance de Jules Tacheny... »