Espiègle, intrépide, ambitieux… L’enfance et la jeunesse de Jules Tacheny sont d’emblée frappées des qualificatifs qui colleront au cuir du pilote toute sa vie. Peut-être a-t-il hérité de son père Emile une certaine indépendance et cette ténacité qui fait la marque de fabrique du « Tacheny de Mettet ».

Emile fut orphelin très jeune. Elevé à Rochefort, par une fille de sa demi-soeur, il prend rapidement la route et s’impose dans la région comme conducteur de locomobile – entendez une locomotive routière à vapeur. Un métier rare. Un métier qui secoue.

Emile s’installe à Mettet, face à la carrière de marbre "Stock" qui lui fournira du travail toute sa vie. Il épouse Ida Demeure, une fille de Scry, un hameau du village, qui lui donne cinq enfants – trois filles et deux garçons, René, Germaine, Julia, Jules et Régina.

René, l’aîné, est le seul qui accomplit des études et celui qui suscite le plus l’admiration de Jules dont les lacunes en orthographe et en syntaxe le hanteront jusqu’à sa mort. Les filles, à cette époque, ne fréquentent pas vraiment l’école.

Et Jules, le cadet, fait plutôt figure de galopin en sabots jusqu’à sa troisième primaire qu’il ne franchira jamais pour cause de guerre, d’enseignement non obligatoire et de… turbulence !

Au village, le gamin Tacheny fait les 400 coups. Toujours partant pour une espièglerie, il s’amuse à faire tomber les cyclistes en tendant un fil sur la route, pique les pommes dans la cave familiale en ayant soin de les faire transiter par le soupirail pour passer inaperçu ou fait exploser les grenades des militaires stationnés dans les environs dans les troncs d’arbre. Intrépide et fonceur, déjà !

Mais le père Emile veut que son fils ait un métier. Jules sera cordonnier ! Il apprendra le métier chez son oncle ! Afin de mieux le surveiller… Mais non : Jules s’enfuit de l’atelier, il veut devenir mécanicien. La machine du père l’impressionne. Et puis ces bourgeois qui font pétarader leurs motos sur la place du village le font rêver. C’est la mode. C’est un signe extérieur de réussite. Et c’est aussi la panoplie idéale pour tomber les filles. Jules, au village, a son petit succès… Jules commence à rêver…

Il faut dire que la moto, à cette époque, est l’objet d’une véritable popularité. En trente ans, le parc recensé sur les routes belges est passé de 300 engins à près de 30.000. La moto, c’est le premier des véhicules abordables, qui fait rêver et qui offre une mobilité totale. En plus, pour marquer le public, les fabricants rivalisent de créativité. A travers l’organisation de grands raids, notamment. Ainsi, deux français, Sexé et Andrieux, font le tour du monde entre le 13 juin et le 4 décembre 1925 sur une Gillet, en rejoignant les villes de Paris – Liège – Berlin – Varsovie – Moscou – Vladivostok – Yokohama - San Francisco - New York – Londres – Liège et enfin Paris !
En 1926, le lieutenant Fabry, à nouveau sur Gillet, fait un aller-retour Belgique Congo - plus de 20.000 km ! En 1927, la F.N. contre attaque, en signant une mémorable « traversée du désert », longue de près de 10.000 km !

Ces exploits entretiennent un vent de fraîcheur et de liberté. Et puis, pour Jules, la moto, ce n’est pas seulement un moyen de locomotion. En plus d’assouvir sa passion pour le sport et la vitesse, c’est un outil d’ascension sociale. Et Jules a de l’ambition.

Emile et Ida changent de maison à chaque nouvel enfant. Pas de quoi calmer la bougeotte de Jules qui truste toutes les activités du village. Il marque des buts et rêve d’une carrière de footballeur au sein du Wallonia Sporting Club de Mettet – dont il sera plus tard le président. Il fait l’acteur dans la troupe locale du Cercle l’Indépendant. Il s’offre, à 17 ans, sa première moto – une FN 350 trois vitesses à culbuteurs – qu’il cache dans les foins ou sous un fagot pour ne pas éveiller les soupçons de ses parents. Seule Germaine, sa sœur aînée, est dans le secret. Elle est sa confidente. Il lui dit qu’il veut « devenir quelqu’un ».