C’est en octobre que leur patience et leur ténacité sont récompensées. Le 26 octobre 1931, exactement. «  Notre Jules est parti en secret à Montlhéry, on ne sait pas pourquoi. » signale le communiqué du club dans les colonnes du magazine de la FMB.

La F.N. a réservé le circuit francilien pour deux jours. Toute l’équipe loge à l’hôtel « la Potinière », où la patronne les reçoit dans une ambiance familiale, comme si elle sentait que les heures sont « historiques ».

Le 26, tout est prêt. Lever aux aurores. Déjà le matériel est sur la piste. Le temps est clair et sec, mais il fait glacial. La machine qu’ils vont piloter est le modèle 350cc de Van Hout. Moto épurée, allégée au maximum. Un condensé de vitesse : un moteur impressionnant, logé dans un cadre tubulaire, une chaîne et deux roues. De menus repose-pieds, fixés directement sur le moyeu de la roue arrière ; deux poignées de guidon, soudées à même la fourche, amortie par un ressort … symbolique, et une selle, minuscule. Pas de freins (pour que faire ?) et pas de phare (on est pourtant en octobre..).

Le défi est aussi important que la consigne est simple : « Tenir le plus longtemps possible – 12 heures – à la vitesse maximum ! ».

Le planning prévoit de rouler de 7h15 à 19h15. Tacheny et Milhoux se relaieront à la vitesse de l’usure des pneus, on pense que ce sera toutes les 2 heures. Le chronométrage est prêt. Le plein est fait. C’est parti !

Le temps est frais, mais les deux hommes sont déterminés. Ils ont confiance... A 7 h 1/4 du matin, Milhoux lance la 350... Deux heures plus tard, le corps figé d’être resté cramponné en position couchée dans le froid glacial du petit matin, il rentre au stand pour le relais, mais les pneus doivent déjà être remplacés. Les changements de roues se font en un éclair pen­dant que Van Hout surveille attentivement le remplissage du réservoir. Tacheny repart pen­dant que Milhoux dit que la moto prend bien ses tours jusqu'en 8e, soit plus de 200 km/h.
Ainsi, les pilotes se relayent au rythme de l'usure des pneus jusqu'à la tombée du jour vers 17 heures. Avant de laisser repartir Milhoux, on monte dare dare un phare raccordé à une batterie. Deux tours après son départ, Mil­houx passe sans lumière : une des cosses de la batterie n'a pas résisté aux terribles vibrations du moteur surpuissant. Le circuit est heureu­sement bordé de balises au pétrole mais les trajectoires sont cependant difficiles à retrou­ver.

A 6 heures, c'est un Milhoux complète­ment engourdi par la fatigue et le froid qui rentre au stand. Ses lunettes et le devant de son overall sont ensanglantés...

Tout le monde s'interroge mais on ne s'interrompt pas et Tacheny reprend le départ pour le dernier relais sans explication. Après quelques tours, ses lunettes deviennent de plus en plus opaques ce qui, ajouté à l'obscurité, ne facilite pas les choses!
Bien qu'inquiet Tacheny augmente l'allure comme l'y invite l'ingénieur Van Hout. Il s'agit de finir en beauté.

Lorsqu'à 19h15 précises, Tacheny rentre au stand, son pneu arrière est usé jusqu'à la corde. On distingue même la chambre à air au travers des fils.

Le sang ? Tacheny en était aussi couvert et il provenait d'un gros lièvre que Milhoux avait décapité lors d'un de ses passages dans le bois... La bête avait perdu tout son sang juste dans la trajectoire des deux pilotes.

A 19h15, le chronomètre s’arrête. C’est fini.

Tacheny et Milhoux viennent de pulvériser 41 records mondiaux, certains dans des cylindrées bien plus importantes.

Le plus significatif est celui des 12 heures à la moyenne de 138 km/h. Le lendemain, une autre tentative en 500 (la même machine avec un autre haut ­moteur) échouera sur bris d'axe de piston.

Grâce à eux, grâce aux travaux de l’équipe, la FN prouve non seulement qu’elle peut aller très vite, mais que ses moteurs sont résistants. Elle est prête, désormais, pour la confrontation avec les plus grandes marques, tant en Belgique que dans les Grand Prix Internationaux. Saroléa et Norton devront désormais composer avec F.N..
L’information fait grand bruit !
C’est une véritable déferlante qui déboule dans le monde de la moto, en Belgique et à l’étranger. Tacheny et Milhoux sont des héros.

Deux semaines plus tard, le 14 Novembre, alors qu’ils sont à nouveau à Monthléry pour des essais complémentaires, un télégramme tombe. Il vient de l’usine F.N. et est signé par Monsieur Joassart, le Directeur Général.


« Avons appris avec la plus grande satisfaction – Vous étiez attributaires du Prix Fernand Jacobs 1931 – digne récompense de votre bel exploit sportif des 41 records et vous en félicitons bien cordialement »
Joassart.

La remise du prix Fernand Jacobs (rebaptisé deux ans plus tard, Trophée National du Mérite Sportif) a lieu à Bruxelles. Milhoux et Tacheny sont reçus à l’hôtel de ville, par le bourgmestre.

A Mettet, c’est la fête et les réceptions officielles. Jules, en smoking, est escorté de la gare à la maison communale. Il est reçu par l’ensemble du Conseil Communal qui l’honore par une séance officielle et une photo, en grandes pompes, sur le parvis de l’Eglise.

Le gamin du village est devenu le sportif numéro un du pays ! Au café de Scry, chez Ida, sa maman, la salle ne désemplit pas.

La FN le félicite. Les sponsors lui offrent des primes. Au garage, les ouvriers l’appellent « Monsieur Tacheny ». Les filles le draguent. C’est la gloire !

Sa première place, deux semaines plus tard, au Trophée de l’Armistice à Liège, sur 500cc, avec Milhoux, victorieux en 750cc et Colette, en 600cc, tous trois sur F.N., passe presque inaperçue …

« Jules Tacheny ne participera pas à la course de Mont Theux. En effet, pour des raisons de tactique, FN souhaite voir ses pilotes gagner dans toutes les catégories. Milhoux et Demeuter, en Expert, affronteront Grégoire. Tacheny restera en Seniors pour s’opposer à Poncin, Dethy et Hublet et Noir. »

La saison 1932, qui verra les F.N. revenir officiellement en Grand Prix, s’annonce passionnante.